Pour mettre votre médecin de bonne humeur, prononcez le mot suivant : « procès ». Il s’en suit généralement une réaction d’agressivité contenue, avec petits yeux plissés dans votre direction et air méfiant.
Ce mot magique effraie de plus en plus les médecins depuis l’avènement d’Internet (propagation/partage du savoir) et l’évolution de la relation médecin-malade vers un mode plus « autonomiste » (que voulez-vous que je vous prescrive ?) que paternaliste (je suis le médecin, je décide de tout, soyez sage !).
De prime abord, tout être humain pense « procès = erreur médicale ». Théoriquement c’est tout à fait juste, et dans la plupart des litiges médico-judiciaires, il y a faute médicale, puis médiatisation, puis vous en entendez parler et en discutez avec vos connaissances.
Seulement en excluant les affaires hyper-médiatisées, dans la pratique, on constate que :
a) la plupart des erreurs médicales – dont certaines sont graves (c’est-à-dire induisent des séquelles) – n’entrainent pas toujours de procès
b) beaucoup de procès n’incluent pas d’erreur grave de la part du médecin
A ce moment là, en temps que médecin on peut se dire – malheureusement trop rares sont-ils – qu’il y a quelque chose qui n’est pas logique, tout du moins dans un raisonnement purement opératoire (= je ne ressens rien). Mais comme vous pourrez tous en témoigner, nul n’attend de son médecin d’être purement objectif et de nous traiter comme une somme de problèmes à laquelle il apporterait un ensemble de solutions. De ce fait, il y a toujours un rapport humain dans le lien médical, un discours qui demande un minimum de respect et d’intérêt porté à la plainte, au patient, même s’il n’est que simple politesse.
Cette raison évidente mais essentielle explique le raisonnement de la personne qui va en venir à intenter un procès à son médecin.
Dans le cas a) il y a une erreur de la part du médecin. Le raisonnement est du style « peut-être était-il en proie à de graves problèmes familiaux ; était préoccupé par un problème tiers ; après tout il reste humain et je peux concevoir qu’il fasse une erreur, même si ça tombe sur moi et que j’en garde des traces. Pourquoi lui faire un procès alors qu’il a toujours été correct et à l’écoute lorsque j’avais besoin de lui ? ». Dans cette situation, il y a confiance entre le patient et son médecin, où le patient pense que son médecin est quelqu’un de bien et responsable, ce qui l’amène à abandonner l’idée d’attaque.
Dans le cas b), le raisonnement est plutôt du type « il m’avait dit que la cicatrice serait pratiquement invisible, résultat je me retrouve avec une infection et maintenant on ne voit que ça ! En plus, je lui ai demandé des explications et il m’a répondu que ce sont des choses qui arrivent et m’a expédié. C’est ce qu’on va voir ! ». En vous imaginant dans la situation, vous seriez aussi tenté de demander une réparation, c’est logique, mais ce ne serait pas tant pour dénoncer cette cicatrice à laquelle vous allez vous habituer (ou faire reprendre par un chirurgien esthétique si vous en avez les moyens) que pour signaler à votre médecin qu’il n’a pas été correct avec vous, n’a pas respecté votre parole, ni votre capacité de jugement de votre propre bien-être. Au fond, la seule chose que l’on attend dans ces situations, c’est que le médecin s’excuse, reconnaisse ses torts et par là même, notre humanité. C’est légitime.
Ainsi se résument les principaux mécanismes qui font naître la plupart des procès. Bien entendu il y a de nombreux autres facteurs qui nuancent la réflexion en vue ou non d’intenter un procès à son médecin, mais globalement, ils présentent la différence de pouvoir être court-circuités (ex : peur de son médecin = avocat qui fait barrière).
Personnellement j’ai le souvenir d’un cours magistral (amphithéâtre avec tout de même 200 auditeurs étudiants) où le chirurgien qui nous parlait de séméiologie médicale (transformation d’un mot compréhensible en un mot incompréhensible ex. ça me gratte = prurit) nous a transmis ce qu’il considérait comme une base importante en médecine « méfiez-vous des patients ! Sans que vous ne les voyiez venir, ils vont vous attaquer en justice ! ». Sa phrase s’est instantanément gravée dans mes neurones, non pas pour sa perspicacité, mais parce qu’après tant d’années de pratique, il n’avait toujours pas compris ce qu’attend un patient de son médecin, quel qu’il soit.
Sur ce, je vous laisse méditer (ou oublier).
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