Dans ce cas… qu'est-ce que je vous prescris ?
Vendredi 10 décembre 2010

Le parapluie : analyse situationnelle n°1

Pour cette première analyse situationnelle, j’ai choisi de prendre un exemple personnel afin de vous montrer qu’il n’y a pas que les patients qui ont des problèmes avec leur médecin. Les médecins aussi en ont avec leurs collègues.

Situation : mon gynécologue m’a prescrit un bilan sanguin à faire avant mon rendez-vous avec lui, afin de voir comment mon organisme tolère la pilule (contraceptive). Comme l’examen est parfaitement justifié, je le fais et je reçois les résultats à la maison qui sont normaux à l’exception d’un : la TSH, autrement dit, l’hormone principale de régulation de la thyroïde. Diagnostic : hypothyroïdie, mais la valeur est très peu élevée par rapport à la norme (donc hypothyroïdie fruste pour ceux qui aiment les détails). Suite à cette décharge d’adrénaline je m’empresse de mesurer mes constantes, m’auto-examiner pour finalement conclure que je ne présente aucun des symptômes de ce diagnostic. Dans ce cas de figure, la HAS (ma meilleure amie) recommande en cas d’hypothyroïdie fruste de ne pas faire d’examens complémentaires qui seraient parfaitement inutiles en raison du peu de conséquences. Un dosage de contrôle est recommandé un mois après.

Sachant cela, je me connecte sur le site de la HAS pour imprimer le tableau des recommandations. Pourquoi ? Parce que je commence à avoir une petite notion de comment fonctionnent les médecins et je sens d’avance qu’il va me prescrire tout un tas d’examens et consultations. Autre argument dont j’ai connaissance, les hormones varient avec « l’humeur » et la résistance de notre système immunitaire ; ce dosage ayant été fait à un moment où je n’étais pas du tout en forme, je penche pour un résultat temporairement anormal.

Je vais chez le gynécologue qui regarde mes résultats complémentaires avec l’air circonspect des médecins et m’annonce sans plus que je dois prendre rendez-vous avec un endocrinologue « car la TSH n’est pas dans la norme ».  A ce moment là, je lui rends son regard circonspect et je lui tends la feuille de la HAS en lui rappelant qu’en cas d’hypothyroïdie fruste chez une patiente qui ne présente aucun symptôme (je vous précise qu’il ne m’a pas examinée ou pas ?) la conduite à tenir est une prise de sang de contrôle dans 4 semaines. Un instant de silence plus tard, « bon, je vais vous prescrire la prise de sang ».

Un mois après je faisais cette prise de sang, vous devinez le résultat… normal.

Analyse technique :

Première critique : tendance à encourager la surconsommation médicale. Les problèmes de thyroïde sont des situations extrêmement fréquentes en médecine, et gynécologie + TSH c’est de la pratique quotidienne. Je veux bien qu’un médecin ne soit pas forcément au fait des dernières recommandations en matière de sarcoïdose ou autre maladie plus rare, mais à mon sens il y a des pathologies de base pour lesquelles il ne peut y avoir de dérogation, et les anomalies de la thyroïde (dysthyroïdies) en font partie.

Seconde critique : l’absence d’examen clinique (le collègue endocrinologue le fera…). C’est très souvent le cas, et c’est aussi comme ça que l’on rate des symptômes importants ou que l’on envoie inutilement un patient consulter un confrère. En médecine, il faut être curieux de tout ; malheureusement très peu le sont.

Troisièmement : cette fois-ci quelque chose de positif, le fait qu’un bilan ait été prescrit, afin d’évaluer la tolérance du traitement (théoriquement tous les 5 ans pour ce type de contraception ou plus tôt si signe inquiétant).

Analyse relationnelle :

Première critique : le peu d’explications spontanément fournies. Il n’a pas l’air de réaliser que les gens ne parlent pas tous sa langue (il ne savait pas en quelle année j’étais). Imaginons que j’ai été une personne lambda, le fait d’entendre « la TSH n’est pas dans la norme » m’aurait totalement fait paniquer car je n’aurais pas su ce qu’était la TSH. Est-ce que c’est grave ou pas ? Qu’est ce que je risque ? Etc.

Seconde remarque : les choses sont imposées. Peu importe de savoir quel est mon avis sur la question ou plutôt quelles sont mes interrogations ; mon médecin pense pour moi. « Vous irez voir l’endocrinologue » point à la ligne et ne tentez pas de me poser une question ! Le résultat de ce type d’approche n’est jamais idéal. Soit la personne va chez l’endocrinologue mais entre temps aura stressé, cherché des informations probablement erronées et surtout non comprises sur Internet ; soit elle n’ira pas du tout voir l’endocrinologue car « je vais bien, tout va bien ». Dans les deux cas, en temps que médecin, je reste face à un patient qui n’a rien compris à ce qui lui arrive et qui par la suite, ne suivra probablement pas son traitement si besoin il y a ; tant qu’il n’y pas de symptôme apparent, on a tendance à penser que l’on est pas vraiment malade.

Ma conclusion ?

Côté patient, comme dit plus haut, une personne qui ne comprend pas ce qui lui arrive est stressée et c’est bien normal. Dans cette histoire, je ne l’étais pas vraiment, mais il n’empêche qu’un résultat alarmant passe toujours mieux lorsqu’une personne sensée connaître son sujet prend le temps de nous rassurer.

Côté médecin, la situation présentée dans cette histoire s’appelle « le parapluie ». En résumé, lorsqu’un médecin se retrouve en présence d’un résultat qu’il n’a pas envie de prendre en charge ou bien dont il ne sait que faire il envoie le patient chez un collègue. Comme ça, il est couvert vu que le patient a été pris en charge par le confrère ou même simplement adressé. Mais en plus, et c’est intéressant, il n’a pas besoin de connecter ses neurones. C’est une situation malheureusement très courante.

D’une ordonnance à l’autre, le poids des prescriptions injustifiées continue de croître. Réformer les règles de prescription certes, mais si personne ne les lit, c’est inutile. Mieux vaut réformer le cerveau des médecins… beaucoup plus difficile.

Crédit photo : Corbis

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