Aujourd’hui j’aimerai vous faire part d’une situation assez intéressante à laquelle j’ai assisté lors de mon dernier stage hospitalier. Il s’agit de la demande d’accès au dossier médical par le patient. Droit non opposable par le médecin.
Situation : matinée à accompagner un médecin (60 ans environ) lors de ses consultations de suivi pour des douleurs chroniques du dos. Une patiente déjà connue par le médecin s’installe et annonce d’emblée :
Patiente : Docteur, il faut absolument que vous me donniez mon dossier médical. Je vais passer une expertise pour l’assurance de la voiture et ils veulent tout.
Médecin : … alors attendez, déjà il faudrait peut-être qu’ils respectent les bases de la politesse ; ils pourraient nous envoyer une demande écrite non ? On ne donne pas de dossier comme ça.
P : pourtant ils m’ont dit que c’était à moi de le récupérer et qu’il leur fallait les radios, les autres examens et les lettres sinon ils ne pouvaient pas décider.
M : non mais écoutez ça ne se passe pas comme ça, déjà on ne donne pas les courriers, ce sont les nôtres, il y a nos avis que l’on s’envoie entre collègues, ça on ne le donne pas, c’est à nous. Et pour les radios je les ai pas ici, je sais pas, il faut que vous alliez voir avec la secrétaire.
P : mais comment je fais alors ?
M : vous voyez ça après avec la secrétaire.
Finalement le médecin arrive à recentrer la consultation sur la partie qui l’intéresse, à savoir évaluer l’amélioration de sa patiente et l’examine. A la fin de la consultation, la patiente revient sur le sujet du dossier médical. Voyant que le médecin est quelque peu agacé, je tente une incursion en expliquant à la patiente que pour obtenir son dossier médical, il faut adresser une lettre au directeur de l’hôpital en en demandant une copie et qu’il lui enverra sans souci. De plus, je lui précise qu’elle devrait être un peu plus méfiante vis-à -vis de l’assurance, car ces derniers profitent souvent de l’absence de connaissance de leurs droits par les patients pour obtenir des informations auxquelles ils n’ont théoriquement pas accès. Et que malheureusement, ce n’est pas pour aider financièrement les patients, mais plutôt pour leur faire payer une prime d’assurance plus élevée. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de terminer les explications vu que le médecin lui a suggéré une fois de plus de voir tout ça avec la secrétaire.
Analyse technique :
Première critique : ce médecin n’était pas du tout au courant des dernières avancées en matière de droit des patients. Il ne semblait pas connaître la procédure, alors que même les médias avaient largement relayé l’information. D’entrée de jeu, la suite de la discussion était compromise.
Seconde critique : l’argumentaire désastreux du médecin qui donne l’impression qu’il y a quelque chose à cacher dans le dossier « on ne donne pas les courriers », ce qui en plus n’est pas tout à fait exact ; les courriers sont accessibles au patient sauf s’ils relatent les propos d’un proche du patient ou d’un étudiant ayant pris en charge le patient. Le fait que le médecin refuse de poursuivre la conversation n’inspire pas vraiment confiance. Pendant le reste de la consultation, la patiente était contrariée et il y avait de quoi.
Pour information : demande de dossier médical à adresser en recommandé avec accusé de réception au chef de l’établissement de santé en justifiant de son identité. Le dossier peut-être photocopié par l’établissement puis envoyé au patient (frais à la charge du demandeur) ou consulté sur place, avec ou sans la présence d’un médecin. L’ensemble du dossier médical est accessible à l’exception des pièces mentionnant les faits relatés par des tiers. La réponse est adressée sous huit jours ou deux mois si le dossier date de plus de cinq ans.
Analyse relationnelle :
Première remarque : l’approche un peu trop directe de la patiente, qui était probablement stressée suite aux demandes de l’assureur et à l’impératif imposé. Clairement, le médecin s’est senti attaqué et il s’est braqué.
Deuxième remarque : pour la défense du médecin, il faut dire que la formation médicale qu’il a eu « à l’époque » n’était pas du tout la même que maintenant. Il y a 30 ans, la question du dossier médical accessible ne se posait pas et il n’y avait pas d’obligation de formation continue, donc de mettre à jour ses connaissances. Depuis, les choses ont évolué et il n’est pas rare de voir des médecins « en fin de carrière » qui ont décidé que si leurs habitudes de pratique clinique avaient été efficaces pendant si longtemps, pourquoi en changer ?
Troisième remarque : défaut d’écoute. Bien que ce médecin m’ait fait une bonne impression au niveau de ses compétences dans les maladies du dos, dès que la conversation est sortie de son domaine d’expertise, il a bloqué le dialogue. C’est dommage, car cette réaction peut donner l’impression au patient que la relation médecin-malade est à sens unique ; c’est-à -dire, uniquement dans le sens où cela arrange le médecin.
Conclusion ?
Pendant toute la consultation, je n’arrêtais pas de me dire « comment est-ce possible de s’y prendre aussi mal ? Il s’enfonce tout seul ». Il aurait été tellement simple de dire à la patiente « écoutez, je ne sais pas du tout quelle est la procédure à suivre. Je vous propose de demander à la secrétaire, elle pourra probablement vous aider ». Je regrette de ne pas entendre plus souvent des phrases empreintes d’honnêteté envers les patients. Les études médicales donnent cette impression que l’on ne doit jamais répondre « je ne sais pas » ; qu’il faut toujours tout savoir ou donner le change, quitte à faire semblant. Beaucoup de médecins font de la rétention d’informations pour des raisons plus ou moins valables, mais au final, la vérité qu’ils cachent le plus souvent à leur patient, c’est leur ignorance. Pourtant, ne pas tout savoir, qui de mieux qu’un patient peut le comprendre ? Mais lorsque le déni veut se faire à tout prix, être ignorant devient péjoratif et là , c’est le patient qui ne comprend pas pourquoi.
Crédit photo : Corbis
Je te cite : » Première remarque : l’approche un peu trop directe de la patiente, qui était probablement stressée suite aux demandes de l’assureur et à l’impératif imposé. Clairement, le médecin s’est senti attaqué et il s’est braqué. »
Concrètement, comment poser ce genre de question sans que le médecin ne se sente attaqué ?
C’est loin d’être simple…
PS : même entre médecins la communication est difficile. Par exemple mon généraliste n’a JAMAIS reçu de compte rendu détaillé de l’hôpital de ce qui est arrivé à mon fils. Et ce n’est pas faute d’avoir demandé et nous aussi d’ailleurs…
On a vécu 2 approches complètement différentes de la communication entre l’hopital et notre médecin traitant. Notre garçon a été opéré dans un hopital public (pour la tumeur à la tête) et là , on va dire qu’au niveau commmunication cela a été le néant (et ça l’est encore…).
Pour la tumeur au pied (clinique privée), c’est tout juste si notre généraliste n’avait pas le compte rendu par mail dans les 5 minutes suivant notre rencontre avec les médecins !
2 manières de faire totalement différentes… une transparence totale avec la clinique privée et une relation fantome avec l’hôpital public.
(Je ne généralise pas cela à tous les hôpitaux publics bien évidemment. Je fais juste référence à notre vécu).
J’ai bien aimé ton commentaire, car il reflète exactement un problème récurrent en médecine « comment ne pas froisser son médecin ? ». Alors, honnêtement, bien qu’un médecin soit un être humain doué d’un caractère, je considère pour ma part qu’un médecin n’a pas à se sentir attaqué par un patient ni à se braquer. C’est le principe du « professionnel de santé ». Certes dans un premier temps un médecin peut être un peu surpris par la manière de formuler, mais il doit être capable de passer au-dessus ; être médecin c’est un peu comme être parent, au moins pendant les heures de bureau. Et puis, le dossier médical c’est une question d’actualité, le médecin se doit d’être un minimum au courant ou alors, d’orienter vers quelqu’un de compétent (ou Internet au pire).
Concernant les lacunes des hôpitaux publics, je peux également t’en faire témoignage, vu que c’est mon principal lieu d’investigation. Le changement régulier d’internes (tous les 6mois) n’aide pas au suivi efficace des courriers, ni la procédure complexe de leur rédaction (dans mon CHU dictée sur dictaphone puis transmission cassette à secrétaire – rédaction par la secrétaire puis retransmission du courrier papier pour signature à l’interne et chef puis envoi). La transmission par mail des courriers est à mon sens pleine d’avenir et va se développer rapidement (en plus économies de papier, ça ne fait pas de mal). Certes, ça ne va pas changer la communication entre médecins qui relève d’un problème d’éducation plus qu’autre chose, mais au moins les informations circuleront plus vite !
Merci pour cette analyse (et ton blog génial en général). Je me demande si l’autorité affichée des médecins n’a pas aussi pour but de rassurer le patient que le médecin sait toujours exactement ce qu’il doit faire… alors qu’en vrai il doute certainement de temps en temps. Pour certains d’entre nous, cette attitude est révoltante car on souhaite comprendre. Pour d’autres patients (sans doute plus parmi les personnes âgées), c’est sans doute très rassurant.
Je ne suis pas médecin mais prof. Ayant d’abord enseigné à la fac, j’avais l’habitude de dire « je ne sais pas, je vais chercher la réponse pour le prochain cours » quand on me posait une colle, et cette honnêteté était appréciée. Maintenant j’enseigne en lycée technologique et j’ai dû changer d’attitude, noyer le poisson pour avouer le moins souvent que je ne sais pas répondre à une question, sinon mes élèves paniquent et pensent que je ne sais rien… La plupart n’arrivent pas à comprendre qu’on peut être un bon prof et ne pas répondre à toutes les questions même celles éloignées du cours :-/.