« La médecine fondée sur les preuves ». Cette phrase, posée comme une pierre angulaire dans les études médicales est le principe qui régit la détermination de la grande majorité des connaissances médicales actuelles. De fait, seules les théories scientifiques ayant fourni la preuve de leur validité sont normalement recevables pour les médecins. Avoir constaté par exemple que de regarder en boucle « le pari » vous avait permis d’arrêter de fumer en seulement 3 jours, ne fait pas de ce film un traitement à ajouter à la liste des techniques de sevrage tabagique. Vous pourrez certes le regretter et rester persuadé de la validité de votre idée, mais pour défendre votre hypothèse auprès de la communauté médicale, vous allez justement devoir en faire « la preuve ». Alors, comment fait-on en pratique pour démontrer la validité d’une information médicale ?
Qui cherche trouve…
Plusieurs informations peuvent intéresser les médecins à propos de la santé. Premièrement, tout ce qui régit le traitement d’une maladie : quels médicaments sont efficaces et reconnus comme tels, quelles techniques chirurgicales sont les moins dangereuses, existe-t-il d’autres moyens d’améliorer la qualité de vie des patients, pourrait-on imaginer utiliser la radiothérapie pour cette complication etc. Deuxièmement, les données qui entourent le « curriculum vitae » de la maladie : d’où vient cette maladie, pourquoi ce patient et pas son voisin, son hygiène de vie a-t-elle jouée un rôle, ce traitement pris pour autre chose l’a-t-il aidé à guérir plus vite etc. Autant de questions qui ont leur intérêt lorsqu’il s’agit de comprendre, soigner et accompagner un être. Pour répondre à toutes ces questions, deux grands principes : les études cliniques et les études épidémiologiques.
Pouvez-vous répéter la question svp ?
En clair, les études cliniques ou essais cliniques sont l’ensemble des études qui visent à évaluer l’efficacité d’un traitement, le plus souvent un médicament et dans la mesure où un traitement de référence existe déjà, la supériorité de cette nouvelle molécule. L’étude se déroule en 4 étapes (ou phases).
- phase I : elle s’effectue généralement sur un petit nombre de volontaires sains (= qui n’ont aucune maladie). On leur donne différentes doses du médicament pour voir où se situe la limite de toxicité, comment l’organisme tolère la molécule et si une efficacité est notée. Dit comme ça, cela peut sembler effrayant, mais les médecins ont généralement à l’avance une idée des doses toxiques et des effets dangereux qui peuvent se produire, étant donné que les molécules ont des principes d’action que l’on peut estimer à partir de leur formule chimique.
- phase II : si le médicament a survécu à la phase I, sans montrer d’effets toxiques trop fréquents ni graves, il est évalué en phase II sur des patients volontaires qui présentent la maladie que l’on souhaite soigner ; afin de déterminer la dose à partir de laquelle le médicament présente le plus d’avantages (efficacité) et le moins d’inconvénients (effets secondaires).
- phase III : c’est la phase de vérité qui vise à évaluer la « compétitivité » du nouveau médicament, soit par rapport à un traitement de référence qui existe déjà pour la même maladie, soit par rapport à un placebo (= faux médicament) si aucun traitement n’existe. Les patients reçoivent un des deux traitements sans savoir lequel afin de ne pas les influencer dans leurs réponses (procédure d’aveugle). Durant cette phase, on évalue les signes d’amélioration de l’état du patient, de ses résultats d’examens ; on répertorie les effets secondaires qui apparaissent, tout autre problème imprévu. Divers protocoles sont disponibles selon les moyens financiers à disposition, le nombre de patients présentant la maladie, le temps imparti et bon nombre d’autres paramètres du même type. Dans le cas où le médicament à l’essai montre un avantage par rapport à ce qui existe déjà, il obtient l’autorisation de mise sur le marché (AMM délivrée par l’Afssaps) et permet une phase IV.
- phase IV : cette phase qui s’effectue pour tous les médicaments actuellement commercialisés, consiste à centraliser par le biais de déclarations spontanées des médecins aux autorités sanitaires, tous les effets secondaires graves qui pourraient être liés à la prise du médicament. Si trop de signalements s’accumulent, des enquêtes sont ouvertes afin de confirmer les liens de cause à effet et retirer l’AMM du médicament en cas de danger (exemple récent Médiator).
Et les études épidémiologiques ?
Leur objectif n’est pas du tout le même. Elles s’intéressent à mettre en évidence les liens (ou facteurs de risques) qui peuvent exister entre une maladie et les circonstances dans lesquelles elle est apparue. Beaucoup de techniques donnant des résultats plus ou moins fiables peuvent être utilisées, mais elles ont le principe commun de comparer un groupe de personnes malades à un groupe de personnes non malades. Soit au début, personne n’est malade et on regarde qui va développer la maladie, afin de mettre en évidence des éléments communs chez tous les malades ; non retrouvés chez les personnes non malades (exemple : seules les personnes exposées à la substance X développent la maladie). Soit au départ on dispose d’un groupe de malades et d’un groupe de non malades que l’on cherche à comparer entre eux, afin de faire ressortir des éléments communs (exemple : tous les malades ont travaillé dans le textile à un moment de leur vie).
L’enjeu ultérieur est bien entendu de pouvoir jouer sur ces « facteurs de risque » s’ils sont accessibles afin de diminuer le développement de la maladie, voire de l’éliminer. Exemple : l’amiante et le mésothéliome (tumeur de l’enveloppe des poumons) développé après exposition pendant une longue durée ; solution retirer l’amiante de toutes les constructions habitables. Autre exemple : le rôle du tabac dans le développement du cancer du poumon, ne pas fumer diminue considérablement le risque de cancer du poumon. En revanche, trouver une origine génétique/familiale à une maladie, ne va pas permettre d’en diminuer la fréquence. Tout au mieux une recherche du risque d’avoir hérité le gène de ses parents peut-elle être mise en place.
T’as rien vu venir, toi non plus ?
En théorie, tous ces schémas semblent bien ficelés et sont pour la plupart, facilement accessibles dans les revues médicales ou sur Internet dans les bases de données, bien que difficilement compréhensibles pour un non-initié. Les articles médicaux, ça ressemble à l’image ci-contre, ce qui correspond en général à la fenêtre que l’on ferme directement lors d’une recherche d’information médicale sur Internet…
En revanche du côté de la communauté médicale, à première vue, tout jeune médecin, médecin en devenir, ou autre genre de médecin est spontanément en confiance et tenté de prendre pour du pain béni les conclusions de ces études. Malheureusement la pratique semble montrer que les auteurs des études « qui tournent mal » ou « qui ne finissent pas assez bien » aiment entourlouper leurs lecteurs avec des détails de calculs, de chiffres, de tableaux et autres courbes qui permettent d’obtenir une différence d’efficacité là où il n’y avait que la relativité du hasard. Pour peu que l’Afssaps elle-même ne soit pas assez obsessionnelle et paranoïaque, il est possible que des erreurs volontaires d’auteurs ayant des intérêts mal placés, en arrivent à des AMM inutiles. Ce n’est certes pas la règle, car nombre de traitements sauvent des vies et les améliorent, mais c’est un risque, voire une probabilité.
Du côté des bancs de la faculté, une nouvelle « discipline » a vue le jour depuis peu. Elle consiste dès les premières années à apprendre aux médecins en devenir comment lire un article médical sans se faire « avoir » par des techniques de mise en scène illusoires. C’est à ce moment là qu’il y a un certain vent de panique qui souffle dans nos esprits et où l’on se dit, mais qui va-t-on pouvoir croire si tout le monde y cherche son intérêt ? Où est la vérité ? Y-a-t-il une vérité ? Pourquoi j’ai fait médecine ? Et ainsi de suite. A partir de là on se rassure en fonction de ses moyens de défense psychique.
C’est bizarre, c’était pas prévu ?!
De manière surprenante, la plupart des études réalisées en bonne et due forme, sans entourloupes, proposent des résultats qu’un profane jugerait plutôt « moyens ». On pourrait penser qu’un médicament qui obtiendra l’AMM à juste titre, se verrait faire des scores d’efficacité de l’ordre des 70% par rapport à un traitement existant, voire à un placebo, mais le plus souvent, leurs résultats ne sont pas si différents et seraient plutôt de l’ordre des 10%, pour une raison que j’ai du mal à éclaircir. Il est possible qu’à partir du moment où un médicament ne nécessite que 10% d’efficacité en plus pour être validé, pourquoi chercher à améliorer le résultat ? En effet, dès que l’on augmente la différence d’efficacité à mettre en évidence, le nombre de patients nécessaires augmente et les coûts avec…
Encore plus étonnant, les patients sous placebo, qui n’ont donc a priori aucune efficacité sur la maladie se voient créer le plus souvent un nombre considérable d’effets secondaires, régulièrement de la même nature que ceux des patients sous traitement. Certes on peut penser que ces effets secondaires ne sont pas liés au traitement, mais leur nombre important reste intriguant.
Les articles médicaux bien que nécessitant un bon entrainement pour être lus à leur juste valeur et avec la réserve qui s’impose selon le protocole utilisé, apportent des informations que l’on ne peut soupçonner de prime abord. Donner le même traitement à 2000 personnes n’aura jamais le même effet sur ces 2000 personnes. Peut-être 700 d’entre elles développeront des effets secondaires qui les rendront inaptes à utiliser le traitement, ensuite 300 d’entre elles y deviendront insensibles etc. Au bout de l’équation, le médicament aura été profitable au plus grand nombre de ces 2000 personnes, mais il n’en reste pas moins que les 2000 autres qui auront pris le placebo auront pour 500 d’entre elles été améliorées, 200 auront eu des effets secondaires les obligeant à arrêter le placebo. C’est moins, mais c’est tout de même notable.
Si j’ai bien compris…
Les voies de la médecine sont-elles moins impénétrables dans votre esprit à présent ? J’en doute quelque peu, mais tout du moins avons nous à présent mis en avant les raisons pour lesquelles les postulats et théories de l’expérience non validées par des études (que l’on espère bien conduites), sont toujours à considérer avec circonspection. Réaliser une étude pour toute hypothèse, ce n’est financièrement pas jouable non plus, d’autant plus que le postulat de l’expérience peut se valider de lui-même avec le temps. Pour autant, afin d’éviter de tirer de notre expérience des conclusions hâtives, réservons toujours une grande part de doute à tout ce qui est posé comme certitude d’emblée, sans qu’une preuve recevable en soit faite. Ainsi, « le pari » comme méthode de sevrage tabagique devra se trouver un promoteur généreux si il veut pouvoir impressionner l’Afssaps par son efficacité.
PS : n’étant pas ultra-spécialiste du domaine, cet article est une synthèse des techniques principales. L’exhaustivité m’aurait « coûtée » environ 5 mètres de pages à lire, ce qui ne me semblait pas profitable et éminemment complexe. Pour information, il existe également des tests d’évaluation paracliniques (des examens de laboratoire, d’imagerie etc.) qui permettent de juger là aussi de leur intérêt/validité mais dont les principes rejoignent ceux étudiés ci-dessus ; ainsi que des méta-analyses qui sont une synthèse de toutes les études existantes et valables concernant une maladie donnée.
Crédit photo : jepoirrier
Bonsoir
je lis avidement plusieurs de vos articles (mais pas d’addiction toutefois !)dont celui-ci.
Vu de l’extérieur : les protocoles que vous décrivez pour la « médecine par la preuve » sont devenus une référence incontournable.
Ce sont des protocoles qui se sont systématisés. Ils ont permis des avancées extraordinaires, en permettant d’affiner la sécurité et les indications des médicaments étudiés.
Pourtant, leur validité semble circonscrite. Sauf erreur, ils n’ont pas permis beaucoup de réelle découverte scientifique ou de traitement révolutionnaire, avec un réel impact sur la durée de vie. Ils ont par contre permis de les améliorer :
insuline, digitaline, antibiotiques, etc.
D’autres + récents ont peut être bénéficié de ce cadre, mais il ne me semble pas d’après ce que j’en ai lu : contraception orale par exemple (la maitrise du nombre de grossesses est un élément fort d’amélioration de la santé et de la durée de vie, chez la mère surtout, pour les enfants aussi), ou encore le fait de coucher les nourrissons sur le dos qui a permis de réduire de façon drastique la mort subite à cet âge là.
Tout ça pour dire que les méthodes scientifiques basées sur l’observation et l’essai de compréhension des mécanismes, et parfois un peu le hasard, ont permis des percées majeures. Parfois des chambardements envers le monde médical de l’époque. Celles que vous décrivez ont permis de les affiner.
Mais souci : les protocoles de la médecine par les preuves sont quasiment les seuls autorisés dans les revues dites de référence, les seuls publiables.
Notamment pour la comparaison avec l’effet placebo, pourtant lui même assez discutable pour pleins de pathologies, c’est une autre histoire.
En d’autres termes : aujourd’hui, les découvertes scientifiques majeures en médecine se font rares. Elles nécessitent souvent une révolution du regard porté, quasi impossible dans un cadre très strict « fermé sur lui-même » qui ne peut les accepter.
Deux grands champs de recherche et de découverte, fondamentaux sont dans ce contexte très délaissés : l’alimentation d’une part, et la mécanique corporelle.
Ce ne sont pourtant pas les travaux réellement scientifiques qui manquent, et qui n’attendent que d’être mis à l’épreuve : une théorie scientifique explique le maximum des phénomènes observés, et permet de prédire des résultats d’expériences, et les exceptions, en les expliquant. Un résultat non attendu vient fragiliser cette théorie. Ce type de données existe en médecine, mais est ignoré parce que dans un format qui ne cadre pas toujours avec les études dites en double aveugle. Et qui contredisent un certain nombre de dogmes tacites courants dans le monde médical « un changement d’alimentation ne peut guérir une maladie grave à part quelques cas particuliers, telle qu’un cancer, une polyarthrite rhumatoïde, etc. » Et pourtant les témoignages en ce sens sont très largement abondants (Et tout de même étayés par une étude en double aveugle pour la PR, de mémoire Darlington en 1986)
Qui par ailleurs permettent l’utilisation de molécules soit dangereuses, comme certaines actuellement retirées du marché, soit pas toujours utiles, comme les antihypertenseurs pouvant être souvent remplacés par des diurétiques.
Bref : y’a beaucoup de boulot, aussi bien celui qui est entamé de « faire le ménage » dans les données truquées, que celui de reconsidérer la pertinence des méthodes utilisées, et de celles qui sont oubliées.
Olive verte
Entièrement d’accord avec vos remarques. Il y a un point important concernant les essais cliniques, ils sont financés par les laboratoires qui veulent vendre la molécule ; cela crée un désavantage énorme pour la plupart des molécules car les petits laboratoires qui n’ont pas les moyens de payer ne pourront en quelque sorte jamais faire la preuve de l’efficacité de leurs traitements de manière « lourde ».
Et puis pour l’alimentation, c’est un peu idem, a-t-on vraiment intérêt, en temps qu’industriel à ce que nos produits disparaissent des étales car ils augmentent la fréquence de certaines maladies ? Non. Les études sur l’alimentation ne sont pas à première vue un créneau qui rapporte de l’argent, d’où certains freins.