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Chaque année, le mois d’octobre met la mammographie à l’honneur pour diagnostiquer les cancers du sein. Pourtant, nombre de médecins se questionnent sur son efficacité réelle. Pour en savoir plus, j’ai réalisé l’interview surprenante du Dr Bernard Junod, médecin de santé publique et lanceur d’alerte ; qui a consacré une partie de sa carrière à analyser les données sur la prise en charge des cancers du sein. Ses propos sont totalement à contre-courant du discours officiel que j’ai reçu en faculté, mais sont argumentés et valent la peine d’être entendus !
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Pour plus d’informations :
Sur le Dr Bernard Junod : Formindep
Sur la mammographie et les études qui ne la recommandent pas :
Tout public : No mammo? Enquête sur le dépistage du cancer du sein
Plutôt orienté soignants : Dois-je me faire tester pour le cancer ? : Peut-être pas et voici pourquoi
Vidéo de cours qui reprend les explications du Dr Junod
Transcription texte de l’interview :
Ludivine : Bonjour Dr Junod, je vous présente pour mes lecteurs qui ne vous connaîtraient pas. Actuellement vous êtes médecin de santé publique et vous vous êtes principalement intéressé à tout ce qui est dépistage des cancers et, aujourd’hui, ce qui m’intéresse particulièrement, c’est de parler du dépistage du cancer du sein, puisque nous sommes au mois d’octobre qui est le mois du dépistage pour ce type de cancer. Actuellement je vois de plus de plus de médecins qui émettent des doutes sur l’intérêt de dépister le cancer du sein pour toutes les femmes dans la population. Est-ce que, vous-même, vous partagez ce doute ?
Dr Bernard Junod : oui, je partage ce doute et pour le partager avec une certaine audience, je me suis rattaché à une association qui s’appelle le Formindep, qui a pour mission d’informer et de former les professionnels de santé, d’informer le large public sur des sujets de santé pour lesquels l’indépendance face au marché de la santé est capital pour apporter des éléments utiles pour faire un choix ; en l’occurrence, le choix pour une femme d’accepter ou non l’invitation qui lui est adressée lorsqu’elle a entre 50 et 74 ans en France pour participer à cet examen de dépistage.
Ludivine : selon vous, quels sont les dangers du dépistage du cancer du sein par mammographie ?
Dr Bernard Junod : en fait le dépistage par mammographie présente en soi très peu de dangers. Il y en a qui sont liés bien entendu au traumatisme physique au moment où le sein est sous l’appareil: il est comprimé. Alors, selon les lésions qui se trouvent à l’intérieur du sein, on peut penser que ce traumatisme peut avoir quelques conséquences néfastes. Il y a également les radiations ionisantes qui sont indésirables en soi ; on a pu le prouver lorsque l’on faisait des examens radiologiques des femmes il y a une cinquantaine d’années pour une surveillance de tuberculose, par exemple. Les seins recevaient une certaine dose de rayons qui ont alors provoqué des cancers du sein chez ces jeunes femmes. Les radiations ne sont pas sans aucun danger, mais le danger du dépistage vient en fait de la mauvaise représentation que les médecins ont enseigné et hérité de leurs ancêtres sur ce qu’est un cancer, sur l’histoire naturelle du cancer. Parce que le but du dépistage, c’est de traiter la maladie cancéreuse qui entraîne, par des métastases dans les poumons ou dans le cerveau, une atteinte des organes vitaux. Et pour cela, on utilise la chirurgie pour faire l’ablation de la tumeur, voire du sein entier et des ganglions lymphatiques que l’on suspecte en relation avec la tumeur. Ensuite, on pratique des radiations à forte dose pour essayer de détruire les cellules considérées comme dangereuses, les cellules tumorales. Et on prescrit également, des médicaments, ce qui joue un rôle sur le plan économique, du marché de la santé.
Ce dont on s’est rendu compte, c’est que la définition de la maladie cancéreuse fondée sur l’examen au microscope d’un prélèvement de la tumeur suspecte lors de l’examen mammographique pose problème: le diagnostic fait sur la biopsie envoyée dans un laboratoire qui l’examine après coloration n’est pas fiable pour dire si une femme est atteinte ou non d’un cancer du sein. Si la biopsie est bien faite et que la femme a une maladie cancéreuse du sein, on le voit ; l’examen est dit sensible. Par contre, il peut arriver que lors de la biopsie, on prétende à l’examen de laboratoire qu’il y a une maladie cancéreuse à cause de l’allure des cellules et du tissu qui a été examiné alors qu’en fait la maladie cancéreuse ne se serait JAMAIS déclenchée. Et le drame c’est qu’il existe dans la population féminine des quantités de ces pseudo-cancers, de lésions qui n’auraient jamais eu de conséquences sur la santé de la femme. Et c’est pour cela que le dépistage représente aujourd’hui, un danger CONSIDERABLE dans toutes les populations des pays riches où l’on pratique le dépistage systématique du cancer du sein.
Ludivine : ce que vous êtes en train de dire c’est que l’on peut avoir un début de lésion au niveau du sein, mais qui ne deviendra peut-être pas forcément un cancer ?
Dr Bernard Junod : c’est exactement ça. Pour l’affirmer, on dispose de tous les éléments expérimentaux avec les campagnes de dépistage, et également des études complémentaires qui ont été faites depuis des décennies: on pose parfois des diagnostics de cancer pour des lésions qui n’auraient jamais eu de conséquences. Une des études les plus convaincantes à cet égard avait été pratiquée au Danemark, à Copenhague. C’était dans un institut de médecine légale chez des femmes relativement jeunes, entre 20 et 50 ans qui, pour un accident de la route ou parce que elles avaient été la victime d’un amant jaloux, je ne sais, étaient arrivées sur la table d’autopsie de cet institut. Sur 110 femmes de ce groupe d’âge arrivées consécutivement à l’institut de médecine légale de Copenhague, on a fait une radiologie des seins et des examens, non seulement des lésions que l’on voyait à la radiologie, mais également, dans les seins qui n’avaient pas de suspicion de cancer. On a fait plus de 60 000 biopsies sur ces 110 femmes. Et là ce que l’on a trouvé c’est que 20% des femmes avaient un cancer du sein. Vous aviez 22 cancers du sein diagnostiqués sur 110 femmes. Vous voyez donc que plus on fait d’examens histologiques, plus on trouve de lésions qui ont les caractéristiques du cancer.
Alors que penser du dépistage ? On fait plus de biopsies, donc on trouve plus de ces FAUX cancers. Il nous manque un élément clé pour définir cette maladie par rapport à son évolution, à sa dynamique classique. Toute la partie de la réaction du corps sain de la femme par rapport à ce qui se passe dans ses seins joue un rôle clé pour qu’on sache s’ il s’agit ou non de la maladie cancéreuse. On pourrait peut-être bien imaginer que ce que l’on appelle un cancer est une réaction utile pour se débarrasser, je ne sais, d’une substance toxique, par exemple. Je ne connais pas la réalité des causes de ces nombreux pseudo-cancers, mais en aucun cas, ils ne sont dangereux pour la vie de la femme. Ils peuvent complètement régresser ou rester pendant de nombreuses années dans le même état. Donc, il manque à coup sûr un élément de décision pour traiter qui soit lié à l’observation de l’évolution de la maladie. Quand on fait un examen de dépistage, on a une situation photographique ; un instant donné avec une biopsie que j’appelle ponctuelle dans le temps, mais qui ne permet pas de prévoir ce qui va se passer ensuite. Il y a d’autres démonstrations actuellement liées aux programmes de dépistage qui se sont déroulés ; Elles ont été publiées par exemple par le centre international de recherche sur le cancer de Lyon qui coordonne au niveau planétaire les informations que l’on a sur la survenue des nouveaux cas de cancer. Les données viennent des registres de tumeurs et des statistiques de mortalité par cancer. Ce dont on s’est rendu compte, c’est qu’en comparant les femmes de pays différents mais à des mêmes périodes – par exemple les belges avec les hollandais ou bien les deux Irlandes – on avait dans un des pays une activité de dépistage qui avait été mise en place, un programme où les femmes participaient et dans l’autre on ne l’avait pas. Eh bien, l’évolution de la mortalité par cancer du sein n’a pas été différente dans ces deux pays. On a même des situations où on avait une surmortalité dans la zone où on a fait le dépistage. J’ai pu faire en France des comparaisons sur des périodes différentes comparant des femmes de mêmes âges. On se rend alors compte qu’on n’a pas agi sur la maladie cancéreuse qui tue ; c’est à dire que la mortalité par cancer du sein de la population ne diminue pas. Par contre on a beaucoup multiplié les diagnostics de cancer. On a une épidémie de diagnostics de cancers dus au dépistage qui a augmenté.
Alors les médecins qui soignent les femmes diagnostiquées sont sûrs qu’ils arrivent maintenant à les guérir beaucoup mieux du fait qu’on les trouve tôt, ces cancers. En fait, c’est une pure illusion liée au fait qu’ils n’ont pas le critère qui permet de dissocier la situation où la femme aura les conséquences de la tumeur prélevée et les situations où il s’agit d’une situation sans danger.
Ludivine : et donc ce critère n’existe pas pour l’instant ?
Dr Bernard Junod : c’est un critère dont j’ai discuté avec le président de la commission nationale cancer, Thierry Philippe en 2005, à l’académie nationale de médecine où j’ai directement proposé qu’on inclue des éléments de définition de la maladie cancéreuse liés à l’évolution dans le temps de la lésion. Et là il a répondu par l’affirmative à ma proposition, conscient du problème de ces diagnostics en excès ; on appelle ça aussi dans le jargon, le surdiagnostic.
Donc, le nombre de ces nouveaux cancers est vraiment inquiétant et bien connu par les spécialistes du cancer ; même les cliniciens. Or, c’est vrai que ce sont des médecins sensibilisés, qui font de l’épidémiologie, qui voient ce qui se passe sur les diagnostics et sur les décès à l’échelle de populations qui ont pris les premiers conscience de la gravité du problème dans un pays comme la France où on pratique le dépistage systématique. Mais il y a de telles pressions par rapport aux règles, aux protocoles de soins, aux influences qui s’exercent pour maintenir cette pratique, que les choses n’ont pas vraiment évolué et on considère le diagnostic qu’on appelle histologique, établi au laboratoire, comme un diagnostic de certitude. C’est ce qui pose des problèmes dans la population actuellement.
Ludivine : oui, c’est exactement ce que j’ai appris. Le discours que j’ai eu à la fac, c’est qu’à partir du moment où on a un carcinome même in situ, c’est à dire la plus petite unité de cancer à l’histologie, il va forcément devenir cancéreux et donc il faut tout de suite traiter cela ; c’est ce que l’on m’a appris. Mais bon après, c’est vrai que d’un point de vue pratique, au fait des informations qui vous apportez ; maintenant je me dis si j’ai une patiente en face de moi pour laquelle il y a un cancer histologique qui a été dépisté, un tout petit, qu’est ce que je lui propose ? Qu’est ce qu’on peut lui recommander ? De se faire traiter tout de suite ou d’attendre ?
Dr Bernard Junod : alors, je n’hésite pas une seconde et j’ai publié des documents accessibles sur Internet dans ce sens. Il faut, puisqu’on a des techniques d’imagerie qui actuellement ne sont pas nocives – il y a par exemple l’IRM qui est très peu nocive - il faut pouvoir suivre l’évolution de cette lésion suspecte AVANT qu’on mette une aiguille dedans. Je vais vous expliquer pourquoi.
Lorsqu’il y a ce que l’on appelle un traumatisme physique ; lorsqu’on a une lésion mécanique d’une tumeur, quand on enfile une aiguille, on fait des dégâts considérables. Il faut se rendre compte à quel point la biopsie, qui est faite avec une petite aiguille, représente un traumatisme important au niveau de la tumeur dont vous parlez, un cancer in situ. Maintenant les cancers in situ qu’on trouve sont principalement dans les canaux galactophores, les canaux qui sont donc destinés à recueillir le lait au moment où la femme utilise son sein pour allaiter son enfant. Donc ces canaux galactophores ont une surface sur laquelle on peut avoir une petite excroissance avec une multiplication de ces cellules à l’intérieur du canal ; c’est le plus fréquent des cancers in situ. Et pour se donner une idée du traumatisme que représente sur cette tumeur une biopsie, j’utilisais, dans des exposés que je faisais à des radiologues du reste, une première image dans laquelle vous aviez le dôme de Saint-Pierre de Rome qui a été construit par Michel Ange, qui fait plus de 40 mètres de diamètre ; j’expliquais que si on le divise par un facteur 400 on obtient un sein de 11 cm de diamètre. Et puis alors à côté de moi, il y avait sur une table une espèce de pouf qui était rempli de petites boules de polystyrène qui faisait, environ 80 cm de diamètre. Cela représentait la tumeur qui en fait, avec le facteur 400, mesurait 2 mm, une tumeur de 2 mm dans le sein. Et dans cette tumeur se trouvent les cellules qui ont à peu près la dimension des boules de polystyrène, entre 5 et 8 mm de diamètre. Au moment où je fais ma biopsie – j’avais fabriqué avec du carton ondulé un cylindre de 60 cm de diamètre – donc j’arrive dans cette boule qui avait été préparée sur la table et puis en sortant mon aiguille, j’avais mis une espèce de pointe, et bien il y a des petites boules qui se répartissaient partout ; ça ne faisait pas très bel effet parce que c’était souvent dans des hotels 3 étoiles, vous voyez. Alors je m’excusais, tout le monde riait et puis juste après je commençais à montrer des diapositives où figuraient des études qui avaient prouvé qu’on avait des récidives de cancer sur le trajet de l’aiguille qui avait fait la biopsie. On avait, en fait, une preuves de la dissémination de la tumeur par ce traumatisme.
Alors, j’ai moi-même fait des études très précises sur le plan épidémiologique, donc sur des statistiques où je suis l’ensemble des femmes de chaque département français, à des âges charnières, à 50 ans, à 70 ans, à 75 ans, au moment où soit on intensifie le dépistage, parce qu’il y a des campagnes de dépistage - il y a des départements où on a commencé avant d’autres en France – soit à des âges où on cesse le dépistage ; on cessait le dépistage à 70 ans jusqu’en 1999. A partir de 2000, on a proposé d’étendre la période de dépistage jusqu’à 74 ans. Et quand on veut étudier en France, les femmes des différents départements à ces âges clés, ce qu’on constate c’est que le plus tôt on va chercher des petits cancers qui traduisent une vraie maladie cancéreuse, le plus tôt la femme meurt. Donc en fait, le nombre de surdiagnostics que l’on fait de ces pseudo-cancers qui sont très fréquents quand on a une tumeur de petite taille, cache au médecin la dangerosité de son acte. C’est déjà l’acte diagnostique et très probablement aussi l’acte chirurgical sur un vrai cancer du sein qui va le faire évoluer plus vite. Il peut flamber du simple fait qu’on le touche. Donc ma recommandation n’est PAS d’aller intervenir le plus tôt possible sur une tumeur qui révèle un vrai cancer, parce qu’effectivement on a une surmortalité dans les 2 ou 3 ans qui suivent l’interventionnisme médical à cause des phénomènes qui sont vraisemblablement ceux de la dissémination, mais ça peut être également à cause de la modification de la perméabilité des cellules. Si vous voulez il y a des messages chimiques, qui vont révéler des métastases qui se trouvent en train de dormir tranquillement dans les poumons, dans le cerveau et lorsque vous avez fait cette biopsie, ça va réveiller ces métastases. C’est un petit peu comme lorsqu’on se blesse avec un couteau. Eh bien, il y a un message qui vient de l’inflammation dans la zone où vous vous êtes blessé, qui donne l’ordre aux cellules restantes de se multiplier pour cicatriser. Et on aurait un phénomène assez analogue dans le domaine du cancer du sein qui effectivement montre que l’interventionnisme physique sur la tumeur est dangereux. Donc je ne dis pas du tout qu’une femme doive supporter d’être défigurée par son cancer, mais se précipiter par la chirurgie sur un cancer du sein est très probablement une attitude qui ne devrait pas être recommandée.
Ludivine : il vaudrait mieux peut-être surveiller d’abord pendant 6 mois, voir si ça évolue ?
Dr Bernard Junod : oui, tout dépend comment la femme supporte ce cancer. J’ai par exemple parlé de ces choses là avec un voisin. Il s’agissait de sa mèe âgée de 80 ans. Je lui ai dit « surtout essaye de trouver un médecin qui accepte que cette femme ne se fasse PAS opérer ». Et cette femme, maintenant ça fait plus de 5 ans, vit dans un confort total, elle n’a pas eu du tout d’inconvénient lié à son cancer, si ce n’est évidemment quand on touche ses seins, des masses – elle en a dans les deux seins – mais qui ne la dérangent pas. Donc, c’est l’affolement par rapport à cette maladie qui aurait entraîné finalement des inconvénients majeurs. Parce que si elle avait été mutilée, puis irradiée, puis ensuite traitée par des médicaments elle n’aurait probablement pas tiré un grand bénéfice des années qui auraient suivi.
Donc je pense que l’âge de la femme joue un très grand rôle par rapport à la volonté d’intervenir précocement. Mais même pour une femme jeune, ça je peux l’affirmer par exemple pour les femmes entre 40 et 50 ans, une mammographie qui déboucherait sur une décision de faire une biopsie, a toutes les chances d’augmenter les risques de décès que d’améliorer sa situation.
Ludivine : je me souviens lorsque j’étais en stage en oncologie, j’avais vu un certain nombre de femmes jeunes, entre 30 et 45 ans qui venaient pour des séances de radiothérapie. Et je me demandais est-ce que vraiment le nombre de cancers du sein avait augmenté ? A priori, vous, vous dites qu’il n’a pas vraiment augmenté, ce serait plutôt qu’on les aurait diagnostiqué alors que si on avait été quelques années avant, on ne les aurait jamais porté de diagnostic pour ce genre de patientes ?
Dr Bernard Junod : alors en France, j’ai des comparaisons très précises à 15 ans d’intervalle, de l’importance de la fréquence du cancer du sein, on a une augmentation de la fréquence de 80%, presque un doublement si vous voulez, 100% cela aurait été un doublement. Cette augmentation de 80% s’explique pour 4 des 80 pourcents par des facteurs de risque classiques qui sont en lien avec la prise d’hormones ou bien qui sont en lien avec l’obésité, des choses comme ça. J’ai aussi pris en compte la consommation d’alcool qui joue un petit rôle par rapport à cette maladie. Donc, seulement 4% explicables par l’évolution de la condition de la femme et les 76% restants de cette augmentation de 80%, ce qui est une grande partie, est due exclusivement d’après l’interprétation que l’on peut faire des données disponibles, à ce phénomène du surdiagnostic, de l’intensification, de l’activisme médical pour diagnostiquer des cancers. Et on a une véritable épidémie apparente de diagnostics de cancers du sein en France. Elle est apparente, parce que du point de vue de la réalité de la maladie cancéreuse dans la population on n‘a pas ici d’augmentation claire. En particulier la mortalité est restée très stable. Si on compare la situation de 1980 avec celle de 2005 on a des taux pratiquement équivalents de mortalité par cancer du sein pour les femmes de 35 ans et plus. Donc c’est ce qui nous intéresse.
On arrive à faire dire aux statistiques qu’il y a eu une diminution etc. mais en incluant des groupes d’âges qui sont sans intérêt, en utilisant des techniques statistiques qu’on appelle la standardisation. Si on choisit les catégories de population que l’on pondère artificiellement on peut dire qu’il y a une diminution. C’est ce que fait l’INCA, l’Institut National du Cancer ; mais quand on fait proprement les choses, on voit qu’il n’y a pas de réduction de la mortalité entre 1980 et 2005.
Maintenant, entre ces deux dates on a eu une augmentation formidable de la pratique de la mammographie. On avait 300 et quelques mammographes – ce sont les appareils qui étaient utilisés en France – 300 en 1980 et plus de 2500 appareils comme cela en 2000. Donc vous voyez il n’y a pas photo, on a multiplié par huit le nombre de ces appareils et le on sait bien depuis maintenant plusieurs années, on a généralisé le dépistage du cancer du sein organisé à toutes les femmes résidant en France, de 50 à 74 ans. Il y a effectivement eu des modifications très nettes de la densité du dépistage.
Ludivine : et que penser de l’auto-palpation ? C’est vrai qu’on en parle pas mal aussi. Est-ce que c’est une pratique à recommander selon vous ?
Dr Bernard Junod : Comme je ne suis pas une femme, c’est à ma femme que je ne la recommande pas. Parce que j’ai connu les résultats d’une étude remarquable qui a été faite sur ce sujet précis à Shanghai. C’était sur 256 000 femmes qui travaillaient toutes dans le textile, donc elles étaient très homogènes dans leur type de vie. Et on avait réparti ces 256 000 femmes en deux groupes ; celui qui se palpait les seins tous les matins sous la douche et celui qui ne pratiquait pas cette auto-palpation. Après onze ans on s’est rendu compte que le nombre de décès par cancer du sein dans chacun des groupes était pratiquement équivalent. Par contre, on se rend compte qu’on a eu une certaine précocité dans la prise en charge de la tumeur qui a été découverte dans le groupe où les femmes se palpaient par rapport au groupe où elles ne se palpaient pas.
Avec l’analyse statistique, on peut considérer qu’il y a entre 4 et 6 mois d’avance dans le diagnostic qui a été posé, dès lors que l’on avait pratiqué cette auto-palpation. Et là, ce qu’on constate par rapport à la date du décès dans chacun des groupes ; c’est que les décès surviennent avec 6 mois d’avance en moyenne dans le groupe ayant fait l’auto-palpation.
Donc cette situation m’amène à penser que tout ce que je vous ai expliqué sur le danger de l’interventionnisme, ne serait-ce qu’à visée diagnostique ; donc le traumatisme physique de l’aiguille qui pénètre est quelque chose qui est déterminant dans le pronostic de la maladie cancéreuse. Et que même l’auto-palpation, n’est pas à recommander.
Ludivine : pour finir, quelles femmes devraient se faire dépister ? Par exemple celles justement qui ont des antécédents familiaux de cancer du sein, est-ce que vous leur recommanderiez de faire des mammographies à intervalles très réguliers ?
Dr Bernard Junod : en fait, compte tenu de notre manière de soigner le cancer du sein qui est le plus souvent indépendante d’une connaissance du mécanisme qui cause cette maladie, je pense que l’interventionnisme médical n’a pas beaucoup d’intérêt.
Alors, il y a des situations où on sait améliorer le pronostic ; c’est au moment où on a des cancers hormono-dépendants ; où effectivement on peut bloquer les récepteurs qui sont dans la tumeur, qui ne vont plus stimuler la progression des cellules cancéreuses. Donc on peut faire de vrais progrès thérapeutiques pour ces groupes là. Malheureusement, actuellement l’examen repose exclusivement sur l’histologie.
Donc, comme c’est pas les tumeurs majoritaires, je pense que effectivement, au moment où on a identifié et qu’il y a un vrai problème qui se pose, là,oui, on peut parier sur le mieux qu’on va avoir par une médication efficace. On peut aussi essayer de soigner comme on fait des fois avec les antibiotiques ; sans avoir fait de prélèvement précis pour savoir quel germe on a ; eh bien on y va, on met les produits qui bloquent les récepteurs hormonaux, point barre.
Mais je ne suis pas personnellement convaincu qu’avec notre peu de connaissances de ce qu’est la maladie cancéreuse, on apporte beaucoup de bénéfices avec les soins locaux à visée thérapeutique, c’est à dire les soins locaux qui sont destinés à guérir la maladie. Alors je ne nie pas du tout l’importance capitale des soins d’accompagnement ou des soins liés à l’esthétique et à la psychologie de la personne. Toute cette phase où il faut accepter que c’est le corps qui décide de la durée d’une vie. C’est un apprentissage difficile et où les soignants doivent permettre à la personne de faire ce chemin dans les meilleures conditions et surtout en souffrant le moins possible. Là, il y a énormément encore à améliorer dans le fonctionnement de nos soins, pour la maladie cancéreuse du sein.
Ludivine : Je vous remercie d’avoir répondu à mes questions et je vous souhaite une bonne continuation.
Dr Bernard Junod : merci, c’est moi qui suis vraiment très reconnaissant que vous ayez pris la liberté de m’appeler et de faire confiance à ce que j’ai pu constater par mes travaux de chercheur.
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Non directement concerné par le sujet je l’ai lu en diagonale.
J’ai l’impression (pas seulement d’ailleurs) que la « problématique » du dépistage du cancer de la prostate est symétrique de celle du dépistage du cancer du sein…
Effectivement, le dépistage du cancer de la prostate (sorte d’équivalent du cancer du sein chez la femme) est également très polémique, car beaucoup d’hommes développent un début de cancer de la prostate, mais celui-ci dans la grande majorité des cas grandit très lentement et n’a que rarement des conséquences sur la vie des hommes.
Ludivine Dernier article…Interview Dr Bernard Junod : faut-il dépister le cancer du sein ?
Article rès intéressant, j’aime beaucoup votre blog car on y découvre des personnes, membres du corps médical, qui vont à contre courant des discours habituels. Que l’on partage ou non leurs points de vue, je trouve qu’il est très utile d’avoir différents sons de cloche pour tenter de se forger une opinion.
Merci pour cet article, Ludivine ! Je signale le documentaire « Le dépistage du cancer en question » visible encore qq jours sur ArteTV : http://videos.arte.tv/fr/videos/le_depistage_du_cancer_en_question-6331612.html.
Voici le résumé : « Mammographie pour dépister le cancer du sein, coloscopie pour celui du côlon, dosage de l’antigène prostatique spécifique pour celui de la prostate et vaccin précoce pour celui du col de l’utérus : des campagnes d’information enjoignent régulièrement les Français comme les Allemands à se soumettre à ce type de contrôles. Mais des deux côtés du Rhin, nombre de médecins et de chercheurs doutent de l’efficacité de cette prévention et de la validité des statistiques publiées dans ce domaine. Les exemples les plus frappants qu’ils évoquent concernent le cancer du sein, le plus répandu chez les femmes (65 000 nouveaux cas en Allemagne et 50 000 en France chaque année) et celui de la prostate, son équivalent masculin. Mais les méthodes de dépistage du cancer colorectal ainsi que le traitement préventif de celui du col de l’utérus soulèvent aussi des réticences. Les cliniciens soulignent notamment les problèmes liés au sur-diagnostic et au sur-traitement ainsi que les risques inhérents aux techniques d’investigation employées. »
Article très intéressant ! Merci !
Je vais passer cet article à ma Maman, même si je ne suis pas certaine d’avoir compris les conclusions : vaut-il mieux passer par le dépistage ou pas ?
Bonjour Olivia, la réponse est au libre choix de la personne concernée. Pour ma part, je ne suivrai pas le dépistage systématique lorsque cela me concernera. Mais je vous conseille de vous renseigner plus précisément si la question vous intéresse, soit sur le site du Formindep, soit à travers le livre de Rachel Campergue « no mammo » (lien dans la colonne de droite). Une personne informée peut en éduquer d’autres, et ça, c’est quelque chose qui m’intéresse toujours beaucoup
oh merci!!!!! dépistée pour 3 petites tumeurs (moins d’1 cm), on m’a « martyrisée » avec des cytoponctions et posé un clip, je refuse depuis 4 mois une intervention (mastectomie radicale et lymphadénectomie!) je tiens tête, je vais me faire suivre et observer, j’ai bientot 70 ans et je refuse ce systématisme de la chirurgie, serait ce parce que les décideurs sont souvent des hommes????
Article très intéressant, comme tous ceux que tu publies Ludivine!
j’avais déjà lu les mêmes opinions dans le bouquin d’un radiologue, qui dénonçait déjà ces surdiagnostics dans : « médecin malgré moi », pour l’anectdote, l’auteur est un des fils de Louis de Funès,…
moi aussi je refuse depuis que j’ai 40 ans que ma gynéco me prescrive une mammo, et qu’elle me tape le col…j’ai 50 ans, et je suis toujours en vie…!!
L’alimentation est à mon avis capitale….go vegan!!!!
Je lis et je relis , pas mal d’articles sur le bénéfice ou non de la mamo, et j’avoue je sait plus a quel « sein » me vouer -
ce que je lis me parait logique, sensé, pas mal lu aussi sur atoute et les articles en lien !
mais j’avoue je suis paumée ,j’ai 57 ans , ma derniere mammo remonte a 2009, et j’arrive pas a savoir si je dois ou non la refaire – surtout avec tout le cirque mediatique d’octobre rose , j’ai eu le malheur de parler de petits boutons d’acné sur les seins (pas l’aréole je precise
) et on m’a fichu une angoisse pas possible, les amies bien intentionnés, mon gygy ! mon généraliste est plus raisonnable, il a regardé et m’a parlé de peau seche, acné , rosacée mais bon, j’avoue je sais plus ! enfin merci de faire de l’info comme ça , au moins on en sait un peu plus – bonne journée
Comme te dire chère Ludivine, que ce que tu mets en ligne sur ton blog est criminel… Je te conseille de dire à tes patientes de jouer à la roulette russe avec leurs carcinomes in situ… Tu dis être passée en stage en Onco, es tu allée uniquement en radiothérapie ou aussi en service de soins et en soins palliatifs. Je ne te laisserais pas soigner ma famille… Et crois moi prends un bon avocat car tes patients vont te faire des procès…